Autiste et médiocre ? Avec plaisir

La semaine dernière, j’ai proposé à mon lecteur d’entrer dans une ère estivale où les articles seraient aussi aisés à lire qu’à écrire, et je ne sais pas si celui-ci suivra cette tendance, alors que j’en écris l’intro, mais faisons de notre mieux.

Être autiste, c’est fatigant. Et parfois, on n’a pas beaucoup d’énergie. Ou une certaine tâche nous échappe. Et dans ces cas-là, nous pouvons nous montrer médiocres. Et je pense sincèrement[1], profondément, que c’est OK.

Autiste : ni génie, ni stupide ?

L’imaginaire populaire nous offre essentiellement deux archétypes de la personne avec un TSA, qui peuvent parfois être combinés : soit c’est une personne avec un handicap intellectuel, peu autonome, qui ne parle pas ou très peu et qui semble ne rien faire de très intéressant, soit c’est une personne qui brille par son esprit. Bien qu’étrange, elle est capable d’accomplir des exploits intellectuels qui semblent impossibles au grand public.

Parfois, les deux vont se combiner : la personne semble très limitée par certains aspects, ayant du mal à accomplir de nombreuses tâches en apparence aisées, et souvent handicapée dans ses relations avec les autres, mais en même temps, elle sera aussi capable de fulgurance intellectuelle.

Je ne dis pas que ces stéréotypes ne correspondent à rien de vrai, bien sûr qu’il existe des personnes autistes qui correspondent à ces archétypes, au moins un peu. Mais mon propos est que se concentrer sur ces archétypes implique d’ignorer des personnes autistes qui existent et qui sont juste… eh bien, un peu médiocres.

Petites difficultés du quotidien

Parfois je bois juste de l’eau chaude parce que je n’ai pas assez de fonction exécutive pour mettre du thé dans une théière ou une boule à thé.

Parfois j’écris un article pas terrible dont je sais qu’il n’est pas terrible, et je l’envoie quand même[2].

J’ai arrêté de jouer à des jeux de cartes à jouer et à collectionner parce que je ne parvenais pas à prévoir suffisamment[3] de coups à l’avance.

Récemment encore, un itinéraire à vélo m’emmenait dans un tunnel. Le coin n’était sûrement pas dangereux en lui-même, mais les tunnels me font me sentir prise au piège. J’ai fait demi-tour, abandonnant la balade au parc que j’avais prévue.

Je ne sais toujours pas lire l’heure sur une horloge analogique, et porte une montre digitale.

Je n’ai pas les capacités mentales d’effectuer un travail exigeant de la concentration à temps plein.

Et tout ceci est totalement acceptable. C’est une vérité que je travaille à faire mienne et que j’aimerais, en même temps, offrir à mon lecteur comme un cadeau. Nous pouvons être assez fonctionnels pour donner le change à un observateur externe qui ne serait pas trop pointilleux, et en même temps ne pas être capables d’accomplir les tâches simples que nos parents se sont pourtant acharnés à nous apprendre ; nous pouvons être médiocres.

Stratégies de contournement des difficultés

Ce qui mérite d’être fait mérite d’être mal fait. Parfois, l’on peut exceller dans une tâche ou, dans une moindre mesure, la finir à 100 %, et d’autres fois, le mieux que l’on puisse faire est pas terrible. Ce « pas terrible », néanmoins, reste infiniment supérieur à « rien du tout ».

Mettre en place des stratégies pour contourner les problèmes, les résoudre quelques minutes à la fois ou même carrément s’en décharger sur un tiers[4] : tout ceci est valable. Si l’objectif était de faire les courses et qu’on a soudoyé sa petite cousine pour s’en charger, si au bout du compte les courses sont faites et personne ne s’en trouve plus mal, alors il n’y a rien à redire.

Les autistes font-ils moins bien les choses ?

Je pense que beaucoup d’entre nous, personnes autistes, avons beau savoir que nous jouons le jeu de la vie en mode difficile, nous ne pouvons nous empêcher de comparer, au moins de temps en temps, nos accomplissements à celles et ceux qui jouent en mode facile. Ou si pas comparer, au moins considérer que ces accomplissements sont le standard. Et, en un mot comme en cent, ce n’est pas le cas.

C’est injuste, je ne dis pas le contraire, moi aussi j’aimerais jouer en mode facile — et encore, je suis chanceuse — mais ce n’est pas notre réalité, et s’en souvenir est important, parce que cela nous permet de célébrer nos petites victoires, quelles qu’elles soient.

Faisons-nous moins bien les choses ? Je n’en sais rien. Qui décide ? Parce que, du point de vue de la version de nous qui n’a jamais essayé, je dirais qu’il y a de quoi être fiers.

Et si nous accomplissons des choses à notre rythme, avec des pauses, pas très bien, en adaptant le parcours, en manipulant un stimtoy… Eh bien. Nous les avons quand même accomplies. Quelles qu’elles soient.

Je nous propose, collectivement, de garder un œil sur ça.