
Autisme et substances : la caféine Partie 1
- Julie BOUCHONVILLE

Mon lecteur le sait peut-être, les personnes autistes ont tendance à ne pas réagir à certaines substances de la même manière que les non-autistes. Mais de quelles substances parlons-nous, et en quoi ces réactions diffèrent-elles ? Tous les autistes sont-ils concernés ? Y a-t-il un seul pan de notre physionomie qui ne soit pas affecté par le TSA ? [1] Ouvrons le dossier, et aujourd’hui, penchons-nous sur le stimulant le plus consommé au monde : la caféine.
Une définition de la caféine
La caféine est une molécule d’origine végétale, qui chez les mammifères[2] a un effet psychotrope stimulant lorsqu’elle est consommée à faibles doses[3]. On la retrouve dans plusieurs plantes, ses principales sources étant le café, le thé et le maté[4]. Ses effets sont bien connus : elle diminue la somnolence, augmente l’attention et stimule le système cardiovasculaire — entre autres en accélérant le rythme cardiaque et augmentant la pression artérielle.
Selon la manière dont elle est consommée, avec quelles autres molécules elle est prise, dans quel contexte, etc., elle affectera différemment l’organisme — sa consommation via une boisson « naturelle », par exemple une tasse de thé, par opposition à une boisson énergisante à la formule contrôlée, est toujours un peu aléatoire, les feuilles ou les fruits d’un même arbre pouvant présenter entre eux une variation de taux. En moyenne, un expresso contient 50 mg de caféine, mais c’est une moyenne, justement. Chaque tasse individuelle peut en contenir plus ou moins[5].
Comment fonctionne la caféine ?
Dans le cerveau, pour le dire en très gros, elle bloque les récepteurs à molécules de fatigue, et déclenche la production de molécules d’attention et de bien-être. Le cerveau perd un peu sa capacité à comprendre qu’il est fatigué, et à la place se retrouve attentif et content : le pied.
Entrons brièvement dans le détail : le fait d’être éveillé et de faire des choses — littéralement n’importe quelles choses — produit des molécules d’adénosine, une substance qui dans le cerveau a un effet inhibiteur de l’activité[6]. Pendant une longue phase de veille, par exemple une longue journée, l’adénosine s’accumule. Cette molécule a ses récepteurs, et au plus elle les active, au plus on se sent fatigué[7], jusqu’à atteindre l’endormissement. Pendant le sommeil, l’adénosine est recyclée en d’autres molécules : au réveil, on se sent rafraîchi, et le cycle peut reprendre.
La caféine vient bloquer ces récepteurs à adénosine[8] et prend la place de cette molécule : elle continue de s’accumuler, puisque le corps continue d’être éveillé, mais la sensation de fatigue n’augmente plus, voire disparaît puisque la caféine produit aussi, via d’autres voies, un pic d’adrénaline et de dopamine, qui aident à se sentir bien et participent à l’impression d’éveil et d’attention.
TSA, TDAH et stimulants
Nos amis ayant un TDAH, nous le savons, ne réagissent pas aux stimulants comme tout le monde : l’un des traitements du TDAH, le méthylphénidate[9], est un stimulant puissant, parfois utilisé comme drogue récréative par les neurotypiques, et qui agit sur le TDAH en apportant un apaisement mental et une capacité à se concentrer « normalement ». Ceci est dû entre autres au fait que pour les personnes ayant un TDAH, le taux de dopamine utilisable dans leur cerveau est anormalement bas[10]. En utilisant une substance qui fait grimper ce taux, on arrive à un niveau « normal », qui diminue donc les symptômes.
Or, que fait la caféine, comme on vient de le dire ? Elle déclenche ce fameux pic de dopamine. En interférant avec l’adénosine, elle est toujours susceptible de venir modifier le métabolisme du sommeil, mais d’un autre côté, son action qui consiste à normaliser le taux de dopamine peut amener un apaisement mental et une réduction de l’hyperactivité qui, eux, peuvent être propices à la détente[11].
On le sait, la comorbidité entre autisme et TDAH est massive : 50 % à 70 % des personnes ayant un TSA ont aussi un TDAH[12]. C’est-à-dire que si une personne est autiste, il est pratiquement plus probable qu’elle ait aussi un trouble de l’attention que l’inverse. Que mon lecteur autiste se retrouve donc dans des symptômes — et des réactions à des substances — typiques du trouble de l’attention n’est donc que normal, en un sens.
Autisme, dopamine et caféine
Et l’autisme pur et dur, dans tout ça ? Eh bien, le TSA aussi se caractérise entre autres par des niveaux trop bas de dopamine dans le cerveau[13]. Ce taux trop bas peut mener à des symptômes de dysfonction exécutive et/ou de trouble de l’humeur. Et qu’est-ce qui bricole efficacement ce taux de dopamine en amenant un sentiment d’apaisement mental ? Nous venons de le dire, cette bonne vieille caféine.
La semaine prochaine, nous aborderons d’autres effets de la caféine sur les personnes autistes, et conclurons ainsi ce point sur cette substance — avant de nous intéresser aux autres dans les semaines à venir
[1]Sans doute pas.
[2]Elle est toxique pour les insectes.
[3]Elle a aussi un effet stimulant à grosses doses, mais elle devient toxique au-delà d’une certaine quantité, précisément à cause de cet effet.
[4]On notera ici que la caféine issue de ces diverses sources est rigoureusement la même, et que des appellations telles que « théine » ou « matéine » n’ont pas lieu d’être : il s’agit toujours de caféine. (Oui, je suis personnellement agacée par ces appellations et me sers de cet article comme d’un podium.)
[5]Et le contexte de sa consommation influencera beaucoup la biodisponibilité de ces 50 mg.
[6]L’adénosine n’existe pas que dans le cerveau, et dans d’autres parties du corps elle n’a bien sûr pas les mêmes effets.
[8]Ce ne sont pas les seuls qu’elle active.
[9]Commercialisé entre autres sous la forme de Ritaline ou de Concerta.
[10]https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0003448724002853#:~:text=Ainsi%2C%20chez%20les%20personnes%20avec,concentrations%20de%20dopamine%20deviennent%20excessivement
[11]Je déconseille à mon lecteur de sombrer dans l’automédication à la caféine : je rappelle son effet toxique dès qu’on dépasse une consommation raisonnable, estimée à grosso modo 400 mg pour les adultes n’ayant aucun problème de santé : https://www.mayoclinic.org/healthy-lifestyle/nutrition-and-healthy-eating/in-depth/caffeine/art-20045678#:~:text=Up%20to%20400%20milligrams%20(mg,widely%2C%20especially%20among%20energy%20drinks.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
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