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La dysphorie du rejet - Partie 1

- Julie BOUCHONVILLE

La dysphorie du rejet - Partie 1

La dysphorie liée au rejet ou dysphorie sensible au rejet est un ensemble de comportements et d’émotions qui apparaissent souvent chez les personnes ayant un trouble de l’attention. Comme les personnes autistes ont une probabilité élevée d’être TDAH[1], elles se retrouvent avec les statistiques qui jouent contre elles lorsqu’il s’agit de cette dysphorie. De plus, et c’est ici une affirmation infondée sortie tout droit de mon propre esprit[2], il y a suffisamment de points communs entre autisme et trouble de l’attention pour qu’il soit envisageable que cette dysphorie se retrouve aussi chez les personnes autistes sans qu’un TDAH soit très notable.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Est-ce que ça se soigne ? Que faire si on a l’impression que soi-même ou un proche en souffre ? Tâchons d’y répondre.

 

Dyspho-quoi ?

La dysphorie, c’est l’inverse de l’euphorie : c’est quand on se sent mal, quand une chose nous paraît insupportable ou horrible. La dysphorie sensible au rejet (DSR), c’est un symptôme qui comme on l’a dit accompagne souvent le TDAH, et qui rend les personnes extrêmement sensibles aux rejets réels ou perçus.

Bien sûr, personne n’aime perdre son job, se faire larguer ou s’entendre dire que sa coiffure ne lui va pas du tout[3]. Il serait normal, même sain, de ressentir du chagrin dans une situation qui démontrerait qu’un ami ne tient finalement pas tant que cela à nous, ou d’éprouver de la colère si nos valeurs n’étaient pas respectées. La DSR va en revanche bien plus loin que cela, avec des sentiments extrêmement envahissants de rage, de tristesse pouvant aller jusqu’aux pensées suicidaires, de honte et d’angoisse, et ce pour des situations de rejet réel ou de rejet perçu. Lors de mes recherches dans la littérature sur le TDAH et auprès de personnes souffrant de ces symptômes, l’aspect envahissant et sincèrement abominable de la DSR est ressorti avec une grande clarté.

 

Enfin, il n’existe pas de diagnostic de la DSR, parce que ce n’est pas une pathologie en soi : c’est le nom qu’on donne à un ensemble de symptômes.

 

A quoi est-ce cela ressemble ?

En gros, ce n’est pas très fun.

 

Mon protocole pour récolter des données à consisté à examiner les témoignages disponibles en ligne ainsi qu’à en collecter auprès des personnes se reconnaissant dans la DSR. Pour cette seconde partie, j’ai très vite pu classer mes répondants en deux groupes : ceux qui avaient du mal à vivre une certaine forme de rejet et avaient été induits en erreur par ma description un peu à l’arrache, et ceux qui avaient effectivement de la DSR. Les premiers étaient mesurés, raisonnables, et décrivaient des réactions qui traduisaient surtout une vie émotionnelle intense. Les seconds m’ont rapporté des situations dans lesquelles ils implosaient lorsqu’on leur faisait une remarque innocente.

De tous ces témoignages, il est ressorti plusieurs points qui me semblent fondamentaux pour comprendre la DSR. Avant d’aller plus loin, je tiens d’ailleurs à remercier avec sincérité les personnes qui ont accepté de m’accorder du temps – que je ne nommerai pas par souci de discrétion, mais dont j’apprécie la disponibilité et la vulnérabilité.

 

Point 1 : Les personnes sont peu instruites sur la DSR

C’est peut-être l’un des éléments les plus tristes parce que les plus aisés à remédier : un meilleur accès à l’information changerait pas mal la donne. Sur tous les témoignages que j’ai pu parcourir, presque personne n’avait entendu le nom[4] de ce symptôme, certains pensaient être « juste susceptibles », et rares étaient ceux à bénéficier d’un accompagnement pour les aider à vivre avec leurs symptômes[5].

Je l’ai déjà dit et le redirai, mettre un nom sur les choses aide. Quand on sait qu’on réagit d’une certaine façon parce que notre cerveau ne produit pas la bonne sauce au bon moment, on enlève une partie du stigma qui existe si la seule explication est « je suis trop sensible et je pleurniche pour un rien ». Et mettre un nom sur les choses permet d’en parler et de se renseigner, en plus de potentiellement trouver une communauté.

 

Point 2 : Les personnes ne réagissent pas « pour rien »

C’est une impression qu’on peut se faire en observant la DSR de l’extérieur : que les personnes qui en sont atteintes partent au quart de tour sans raison apparente. De leur propre aveu, elles n’ont pas toujours de bonnes raisons de réagir, mais il existe toujours un déclencheur extérieur. Le problème vient de ce que la notion de « rejet perçu » peut englober tout un tas de choses.

Quelques exemples que j’ai pu glaner (modifiés un peu pour préserver l’anonymat) qui ont déclenché une réaction émotionnelle violente :

- « La manière dont tu tiens tes couvert est trop mignonne »

- « Si tu veux, après la réunion, je peux t’expliquer comment mieux te servir de ce logiciel »

- « C’est original cette combinaison d’ingrédients »

- « Je n’ai pas compris pourquoi tu as organisé tes dossiers comme ça, pour moi ça n’a aucun sens »

- « Tu comptes porter ça ? »

- « Tu as un peu ronflé la nuit dernière »

- « Est-ce que vous pourriez nous donner plus de détails, en particulier sur la procédure du point Y ? »

 

Bien sûr ces remarques peuvent être faites avec une agressivité passive, mais le plus souvent, ce n’est pas le cas. Ce sont juste des choses que les gens disent sans penser à mal, sans chercher à critiquer, à asseoir leur supériorité ou à pousser celui qui les entend à modifier son comportement. Le problème est que les personnes souffrant de DSR les entendent et implosent.

(Il y a bien sûr ici une petite subtilité à prendre en compte : les personnes ayant un trouble de l’attention, tout comme les personnes autistes, ont parfois du mal à lire entre les lignes d’une conversation et à percevoir les intentions de leurs interlocuteurs. Cela ne fait qu’empirer la situation : on ne sait pas si la personne est en train de dissimuler une critique acerbe sous une formulation innocente, on s’est laissé abuser par le passé, cela s’est soldé en moquerie et désormais on est sur ses gardes, etc. Il est important de garder à l’esprit que la DSR existe le plus souvent dans un contexte de trouble de l’attention/autisme.)

 

Point 3 : L’incertitude liée à la politesse/hypocrisie empire les choses

De manière assez paradoxale pour des personnes prenant mal la critique, beaucoup de personnes atteintes de DSR évoquent qu’elles préféreraient vivre dans une culture où l’on est généralement plus honnête. Cela est dû au fait que cela diminuerait l’ambiguïté de certaines situations. Dans une culture où il serait acceptable et peu émotionnellement chargé de dire si une chose nous déplaît, nous de devrions pas passer du temps et éprouver des tracasseries mentales à nous demander si nous avons accidentellement froissé quelqu’un : cette personne pourrait nous le dire, et nous pourrions rectifier le tir.

Hélas, souvent dans notre culture il est jugé comme préférable de mentir pour ne pas embarrasser son entourage, ou de faire passer des messages entre les lignes, avec des sous-entendus. Pour les personnes atteintes de DSR, l’incertitude est un gros facteur d’anxiété qui empire les sentiments d’inadéquation, parce qu’à la sensation de rejet s’ajoute la culpabilité d’avoir une réponse émotionnelle à ce qui n’était peut-être même pas une critique, voire la honte d’être en train de devenir complètement paranoïaque.

 

Point 4 : Les personnes ne contrôlent pas leurs réactions émotionnelles

On peut, dans une certaine mesure, contrôler comment on exprime ses émotions. Contrôler l’émotion en elle-même, en revanche, est impossible – disons qu’on peut la gérer une fois qu’elle est apparue, si on a appris comment faire, mais que son apparition est essentiellement une histoire de jus de cerveau[6].

Tout cela pour dire que quand une personne souffrant de DSR est confrontée à un déclencheur, le pic émotionnel qu’elle ressent est indépendant de sa volonté. Il serait faux de penser que la personne choisit de pleurer pour qu’on ait pitié d’elle ou qu’on la réconforte, ou qu’elle choisit de se mettre en colère pour forcer les autres dans une confrontation.

(Ce qui ne veut pas dire que la personne n’aura pas besoin de réconfort ou de discuter de la situation après-coup. Ce sont deux choses différentes.)

Ce pic émotionnel est en général intense et violent. Les personnes mentionnent ressentir, en plus des émotions en elles-mêmes, de la douleur physique, des changements de température brutaux, une envie irrésistible de disparaître ou de se battre, des rougissements soudains, des modifications de leur tension artérielle, etc. Ces moments sont bien sûr très déplaisants, et peuvent avoir des conséquences sérieuses pour leur vie privée et professionnelle car, rappelons-le, les personnes TDAH sont connues pour leur impulsivité.

 

Point 5 : La tristesse n’est pas la seule réaction au rejet

La tristesse est bien sûr l’une des réactions principales, si pas la principale, mais il y en a d’autres, qui peuvent apparaître à tour de rôle, toutes en même temps, selon les situations, etc.

Une personne souffrant d’une DSR et confrontée à un déclencheur peut aussi ressentir :

- De la colère, que ce soit par rapport à un sentiment d’injustice (« ta critique n’a pas de fondement »), de victimisation (« pourquoi est-ce que tu me dis cela alors que tu connais l’impact que cela a sur moi ? ») ou de besoin de se défendre (« tu me manques volontairement de respect, tu t’en prends à mes valeurs »).

- De la honte et/ou de la culpabilité, qui s’expriment au sein de sentiments complexes lorsque la personne craint d’avoir fait honte à un proche, pense entendre la confirmation qu’elle est insuffisante et inadéquate, croit avoir fait quelque chose qui justifie un rejet perçu, etc.

- De l’anxiété, parce que la peur de ne pas être assez bien est l’une des constantes de cette dysphorie.

- Des fluctuations de l’estime de soi, parce que la DSR est très fondamentalement la certitude que l’on n’est pas assez bien, idée que l’on combat mais qu’on voit se confirmer chaque fois que quelqu’un suggère qu’on aurait dû cuire un gâteau trois minutes de moins.

 

Point 6 : Cela ne se soigne pas avec une tape sur l’épaule et une bonne conversation

Les neurotypiques sont particulièrement fan de l’idée qu’une conversation sérieuse, voire qu’une unique phrase bien choisie, peut guérir tous les maux. On peut se demander si c’est une forme de pensée magique, comme si la formule « arrête de stresser pour tout » avait un pouvoir sur le trouble anxieux ou « vois la vie du bon côté », des effets thérapeutiques sur la dépression. Dans la même lignée, dire à quelqu’un d’arrêter d’être susceptible ou de ne pas voir le mal partout ne va pas le guérir magiquement de sa dysphorie. Pire, manifester qu’on lui en veut ou qu’on aimerait qu’il change cet aspect de son comportement ne va faire qu’empirer la situation.

 

Point 7 : Il est possible d’avoir des relations « sécurisées » avec certaines personnes

Ces relations ne seront pas exemptes de moments où la personne souffrant de DSR pensera qu’on lui en veut, ou où elle se sentira mal suite à une remarque, mais son attachement solide au sein de sa relation lui permettra de relativiser ce qu’elle ressent. Elle sera en mesure de se dire que si l’autre personne lui reprochait quelque chose, elle l’exprimerait sans détour, et qu’une remarque ambiguë était donc innocente. Elle pourra aussi remettre une critique constructive dans son contexte comme une vraie piste d’amélioration. Enfin, elle ne doutera pas de l’affection que cette personne lui porte.

 

Ayant déjà déblatéré un long moment, je laisse à mon lecteur un peu de répit et lui propose de le retrouver la semaine prochaine pour la suite de cet article.

 

[1]Rappel : 30 à 80 % des enfants autistes possèdent les critères pour être diagnostiqués TDAH (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/20148275/ )

[2]C’est l’été, j’ai décidé que ma rigueur académique pouvait bien prendre des vacances. Mes suppositions démarrent dès l’intro.

[3]On connaît tous quelqu’un de notre entourage qui va arguer qu’on met des étiquettes sur tout de nos jours et que, de son temps, quand on était triste à cause d’un rejet, on serrait les dents.

[4]J’ai été témoin en direct de quelques moments de type « oh ça a un nom ? », une expérience fédératrice pour les communautés neurodivergentes.

[5]Difficile de déterminer au débotté si cette absence d’accompagnement est due à des raisons financières, parce que la personne ignore simplement que c’est une option, parce qu’elle n’a pas envie d’aide psychologique, etc.

[6]Et le jour où nous pourrons tous contrôler les jus que produisent nos cerveaux sera glorieux, certes, mais il est encore lointain.


1 commentaire
  • Ou se trouve la seconde partie ?

    Florian le

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