Réussir des fêtes de fin d’année avec des autistes
- Julie BOUCHONVILLE
Les fêtes de fin d’année sont, pour beaucoup, un mélange de plaisir et d’obligation en proportions variables. Je propose à mon lecteur cette année un article à destination des neurotypiques ou juste des gens qui veulent bien faire, mais qui ont parfois du mal à soutenir au mieux leur proche autiste. Que faire pour être sympa, compréhensif et une ressource plutôt qu’un drain ? Quels comportements éviter ?
Voyons cela ensemble.
Le vocabulaire
« Autiste » n’est pas un gros mot. Les termes psychiatriques ne sont pas, en général, mal perçus, sauf si quelqu’un a expressément affirmé que c’est le cas. Il n’est donc pas nécessaire de demander : « Et comment va Ananas avec son… (pause prégnante) (regards à droite et à gauche pour s’assurer que la voie est libre) (chuchotis théâtral) diagnostic ? »
Les personnes directement concernées vivent dans la réalité d’une situation, d’un neurotype, d’un trouble. Votre mention, cher lecteur, ou absence de mention, du nom qui correspond à cette réalité ne va rien changer, et il y a quelque chose d’agaçant à ce que les gens traitent votre quotidien comme le spectre de la mort, susceptible d’être conjuré par sa seule évocation.
Les attentes
Les fêtes de fin d’année sont pleines de contrats sociaux tacites. Le premier, et peut-être le plus riche en clauses complexes, est l’idée de les réussir, qu’elles soient belles, et qu’elles correspondent plus ou moins à une sorte d’image de carte postale. Ceci implique qu’elles peuvent être aussi moches ou ratées si l’on s’éloigne trop de l’idéal initial. Bien sûr, peu de gens se mettent d’accord sur ce à quoi cet idéal ressemble pour eux, pourquoi, et quels aspects en sont négociables — beaucoup deviennent juste passif-agressif si Fraise, 6 ans, ne déballe pas ses cadeaux au moment convenu ou si Orange, 36 ans, ne mange que des chips.
Pour contourner ceci, il est important de communiquer[1].
Expliquer ses attentes
Imaginons que mon lecteur est l’un des invités à un repas familial de fin d’année, et qu’un autre invité est une personne autiste. Mon lecteur attache sûrement de la valeur à certains aspects d’un repas de ce genre : le code vestimentaire, la décoration, les activités pratiquées, le nombre d’invités, la durée du repas, les aliments qui sont servis… La liste est longue. Par exemple, pour certaines personnes, un repas de fin d’année implique de mettre les petits plats dans les grands, mais les activités pratiquées[2] ne sont pas des critères de réussite à leurs yeux.
J’invite mon lecteur à identifier quels critères sont importants pour lui, et à en parler avec les autres invités. Se pose en outre la question de la participation : est-ce important que mon lecteur ait la possibilité de valider ces critères, ou faut-il que tous les autres invités y participent également ?
Distinguer si une tâche est faite pour soi ou pour les autres est plutôt utile. Par exemple, si mon lecteur offre un cadeau à quelqu’un pour le plaisir d’offrir et de s’entendre exprimer de la gratitude : alors il est important pour lui que la personne déballe ledit cadeau devant lui, ait l’air heureuse de le recevoir, et la remercie. Si en revanche il offre un cadeau dans le but de faire plaisir à la personne en face, cette dernière peut très bien déballer le cadeau plus tard et lui exprimer sa satisfaction à cette occasion.
Si la question est trop vaste, ou trop abstraite, il est possible de prendre le problème par l’autre bout : qu’est-ce que mon lecteur refuse absolument ?[3] Quelle version des faits lui fait horreur ?
Demander ce qui est faisable pour les autres
Une fois que mon lecteur sait ce qui est important pour lui, il est pertinent d’en parler avec les autres convives et de déterminer les sujets sur lesquels il est nécessaire de lâcher du lest. Parfois, on tombera sur une combinaison incompatible, et il est OK de ne pas réussir à trouver de compromis. Dans ce cas, le mieux est peut-être d’organiser deux fêtes différentes, ou de trouver un moyen de séparer l’espace géographique pour que des personnes distinctes puissent avoir des expériences différentes. Par exemple, on peut envisager que les convives adultes aient un menu plus élaboré, et que les convives enfants mangent des pizzas à une autre table, voire dans une autre pièce.
Exception ou changement de règle ?
Les personnes autistes ont souvent des besoins qui leur sont propres, et peuvent demander que l’on fasse une exception aux « règles », dans le sens de « principes qui dictent ce qui se passe durant la fête » pour elles. Cela peut être acceptable pour mon lecteur, qui sait qu’il faut être arrangeant, mais parfois c’est l’inverse qui est plus pertinent : mettre tout le monde à la même enseigne. Par exemple, si Pamplemousse déteste boire dans un verre et préfère utiliser une tasse, on peut la laisser emmener son mug de vin blanc à table, mais on peut aussi servir tous les convives dans des tasses assorties[4].
Croire les gens
Les adultes autistes sont un peu perturbants — je le sais, j’en suis une. Nous sommes là, semblant fonctionnels par certains aspects, peut-être très doués dans notre domaine, et soudain on nous apprend que le dessert est un granité à la figue et l’on fond en larmes.
Il peut être tentant de se dire qu’on exagère un peu, qu’on en fait des tonnes, que ce n’est pas tellement qu’on ne peut pas faire quelque chose, mais plutôt qu’on ne veut pas, et que cette histoire d’autisme a quand même bon dos.
Si mon lecteur se trouve jamais dans cette zone mentale, en train d’emprunter ce chemin, je lui propose de s’arrêter. Promis, nous sommes sincères, et si Mirabelle, 47 ans, vous demande de baisser la radio ou d’éteindre la lampe dont l’ampoule fluctue, ce n’est pas un caprice.
Être sympa avec une personne autiste
Cet article voyage en cercle et revient à son début. La personne qui a un TSA sait qu’elle a un TSA et, aussi surprenant que cela puisse paraître, vit avec. Il est donc acceptable de mettre les pieds dans le plat, surtout si c’est pour poser des questions aimables. En fait, j’encourage même mon lecteur à dire des choses comme :
— Est-ce que cette place à table te convient ?
— Tu me dis s’il y a trop de bruit ?
— Je te sers la sauce à part ?
— Si à un moment tu veux prendre l’air sur le balcon, tu peux y aller !
— Comment se passent tes séances d’ergothérapie, tu veux me raconter ?
— Si Oncle Truc te saoule, tu me le dis et je fais diversion, OK ?
— J’ai vu que tu ne mangeais pas de tout sur le buffet, est-ce que tu trouves quand même des choses qui te plaisent ?
— Tu veux dessiner/tricoter/t’occuper les mains pendant qu’on papote ?
— On va jouer à Tel Jeu, tu veux participer ou tu préfères regarder ?
Encourager une personne autiste à exprimer ses besoins est une manière gracieuse de prendre soin d’elle et de la faire se sentir incluse et appréciée.
Espérant avoir un peu dégrossi le terrain pour mon lecteur, il ne me reste qu’à lui donner rendez-vous la semaine prochaine pour notre dernier article de l’année.
[1]Ayant démarré ma propre pratique de thérapeute, je me rends compte à quel point les problèmes interpersonnels sont dus à des manques de communication. Si tout le monde se parlait plutôt que de faire des suppositions, l’humanité serait inarrêtable.
[2]Discuter, jouer à des jeux de société, regarder un film, écouter de la musique, jouer de la musique, danser…
[3]À titre d’exemple, je me souviens d’un repas de ce genre où l’un des invités avait demandé à l’hôtesse s’il était possible d’allumer la télévision en fond sonore. L’hôtesse trouvait cela parfait aberrant, mais ne voulait pas manquer d’égards envers l’invité en lui exprimant que c’était l’une des pires choses qu’on lui ait jamais demandées, et on est passé à un cheveu de l’incident diplomatique.
[4]Il ne s’agit bien sûr que d’une illustration du propos, j’ai conscience que ce n’est pas toujours applicable à la réalité.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
Bonjour,
J’aime bien faire des règles de jeu ou de travail qui prennent tout de suite en compte qu’une personne pourra faire quelque chose d’inattendu ou qu’une situation pourra changer.
J’entends toujours les gens faire des règles pour gérer les cas classiques mais ça ne se passe jamais comme ça en vrai : les paramètres des projets débordent, les gens s’absentent, des participants se rendent compte qu’ils ne peuvent pas atteindre un objectif, etc. Très vite ça donne lieu a des règles parallèles sur le pouce, qui ne sont jamais écrites. Et comme ce n’est pas écrit et facilement détournable, les gens finissent par n’utiliser plus que celles-ci et n’appliquent plus le joli schéma (super droit avec des flèches parallèles, des couleurs et une légende) que tout le monde avait accepté au départ.
Faire des règles, et penser au fait que les participants ont tous des difficultés et forces différentes, puis voir que les participants s’amusent avec : c’est la meilleure partie d’un jeu.
Il y a toujours des individus qui ne veulent pas être inclus par des exceptions.
En plus, le concept des exceptions m’a toujours semblé étrange puisqu’il s’agit simplement d’un autre alinéa à la règle primaire qui ne devrait pas contenir “toujours” ou “dans tous les cas” mais plutôt : “dans les cas non gérés par les alinéas si-dessous”.
Mais du coup, comment concilier Pamplemousse et Hovenia dont la collection de verre à pied n’est plus à présenter et qui se faisait une joie d’inviter ses connaissances pour leur monter son nouveau service ? Est-ce qu’un verre à cocktail sur pied ou de tasses en verre de café conviendrait ? Peut-être est-il possible de disposer directement un verre et un mug (ou une tasse) qui servira de toutes manières lors des boissons chaudes ? Est-ce que c’est la ance de la tasse, la large ouverture, le dessin rigolo ou bien simplement le fait que ce soit cette tasse-là ?
Bien sûr, Icaque, qui préfère très fortement boire dans un gobelet en plastique et qui a savamment su laisser des tasses à lui chez des personnes de confiance (dont Hovenia ne fait pas nécessairement partie), sera toujours triste.
Est-il possible d’indiquer dans l’invitation que tout le monde est libre d’apporter son propre outillage adapté mais que celui-ci pourra être modéré ?
J’aime bien l’idée de la pièce d’à côté. Ca donne l’impression d’être là, et d’être venu participer, tout en sachant parfaitement que ça ne marchera pas.
Et à toute personne qui lira ce message et qui se dit aussi qu’elle n’est pas du tout prête à aller manger un truc chelou avec pleins de gens autour ou à se prendre des remarques pour son manque de tout ce que vous voulez : bon courage !