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L’intersectionnalité entre autisme et féminité

- Julie BOUCHONVILLE

L’intersectionnalité entre autisme et féminité

Aujourd’hui, en l’honneur du 8 mars, je propose à mon lecteur et ma lectrice un article moins fouillé et plus léger que d’ordinaire, bien nécessaire pour parler d’un sujet au demeurant un peu déprimant.

 

Définitions

Intersectionnalité

Ce terme désigne l’intersection de deux états, comme son étymologie le suggère, et plus précisément, celle de deux minorités à la fois. Le but, quand on parle d’intersectionnalité, n’est pas de faire le concours de celui ou celle qui cumulerait le plus d’oppressions[1], mais plutôt de pouvoir discuter des situations qui n’émergent que parce que la personne se trouve à l’intersection des minorités. Une femme autiste vit des expériences qui existent en dehors de la sphère vécue des femmes neurotypiques et des hommes autistes : des expériences qui ne s’expliquent que par l’intersectionnalité.

 

Femme

Je ne doute pas que mon lecteur sache ce qu’est une femme, mais pour le bien de cet article, je compterai comme « femme » quiconque est ou a été soumis aux normes de genre portant sur les femmes, soit un groupe un peu plus large que les seules femmes et incluant, par exemple, les personnes qui se sont considérées comme des femmes à une époque, mais ne le sont plus, les personnes non binaires, mais « à tendance femme », etc. Je pense que leurs expériences sont cohérentes avec ce qui est mentionné ici et, à une échelle plus personnelle, si je ne faisais pas cela, je ne pourrais pas m’inclure dans mon propre échantillon — ce qui rendrait un article tenant pas mal du billet d’humeur assez futile.

 

Expériences

 

« Non, mais t’as pas l’air autiste »

Les hommes se l’entendent dire aussi, bien sûr, mais le grand public a encore une image très masculine de l’autisme, et le simple fait d’avoir une apparence dite féminine peut perturber les « radars à autistes ». Dans l’absolu, une apparence soignée est peu associée à notre neurotype ; on se représente plutôt les autistes comme portant toujours les mêmes vêtements[2], et peu intéressés par leur apparence.[3] Néanmoins, ceci participe à l’invisibilisation des femmes autistes, puisque notre culture encourage les femmes à soigner leur image et pénalise celles qui ne le font pas. Les femmes autistes ont donc le choix entre perdre leur identité de femme, ou leur identité d’autiste[4] — un thème qui sera récurrent dans cette visite guidée de leurs oppressions.

 

« C’est pas un intérêt spécifique, ça »

Vite, lecteur, pense à trois intérêts spécifiques courant chez les autistes !

 

Est-ce que tu as sélectionné l’espace, les dinosaures et les trains ? Star Wars, les timbres, et la géologie ? Les Legos ? Minecraft ? Un langage informatique ?

Bien joué, lecteur ! Ce sont effectivement des intérêts spécifiques courants ; le danger serait de penser que ce sont les seuls. Un intérêt spécifique, c’est un sujet inhabituel ou auquel la personne autiste va s’intéresser dans des proportions inhabituelles[5]. Personne n’a rien dit quant à la nature du sujet en question, aussi des intérêts spécifiques courants chez les femmes autistes, bien que peu discutés, peuvent inclure :

– L’équitation

– Le maquillage, la mode

– La lecture, une œuvre littéraire précise

– La pâtisserie, la gastronomie

– La psychologie

– …

 

Non pas que les femmes soient prédisposées par une obscure force génétique à se passionner pour les poneys et le mascara, mais même les personnes autistes sont sensibles aux pressions culturelles fortes. (Qui sait ce que chacun et chacune d’entre nous trouverait intéressant, si nous avions grandi sans culture.)

Pour revenir à nos moutons, ces sujets peuvent être perçus comme « pas des vrais intérêts spécifiques », sans pour autant garantir à la femme autiste concernée de pouvoir se lier d’amitié avec les autres femmes ayant la même passion, leurs neurotypes n’étant pas forcément compatibles[6].

 

« Mais du coup comment tu vas faire pour les enfants ? »

Hommes comme femmes autistes sont souvent infantilisés, on nous sert du « ma puce » et « mon grand » à toutes les sauces, mais si le grand public présuppose que les hommes autistes ne se reproduiront pas ou le feront en se reposant très lourdement sur une éventuelle épouse[7], il a du mal à comprendre comment feront les femmes autistes, à la croisée de deux injonctions contradictoires. Les femmes aiment les enfants et veulent en avoir, mais les autistes n’ont sans doute pas envie d’enfants et, d’ailleurs, ne devraient peut-être pas être autorisés à en faire.

Je le rappelle au cas où : les autistes, peu importe leur genre, peuvent vouloir des enfants, ou non, et ne font pas de moins bons parents que les autres. La parentalité autiste représente son propre lot de défis, mais être un parent n'a jamais été facile pour quiconque, et ces obstacles peuvent être contournés.

Également, les femmes ne sont pas obligées de se reproduire pour être des femmes, et toutes n’en ont pas envie.

 

« Mais du coup tu veux vraiment la garde ? »

Les femmes autistes peuvent paraître « froides » ou « rigides » par rapport à l’image que le grand public se fait de la femme idéale, et cela peut poser problème lorsque leur maternité est examinée de près, par exemple lors d’un divorce compliqué. Si une décision de justice doit intervenir pour fixer les modalités de la garde des enfants[8], une femme autiste peut être pénalisée à cause de sa manière d’exprimer ses émotions, étant facilement taxée de « pas assez aimante », « trop détachée », « distante », etc.

 

« Tu vas sortir habillée comme ça ? »

Une femme autiste est non seulement infantilisée, mais aussi désexualisée. Les femmes qui maîtrisent leur sexualité sont toutes considérées comme suspectes et un peu menaçantes, mais lorsqu’elles sont autistes, il se rajoute une couche d’inquiétude supplémentaire. Leur entourage peut supposer qu’elles ne savent pas ce qu’elles font, voire qu’il y a quelque chose de malsain dans la situation si elles le comprennent bel et bien.

Ceci est d’autant plus retors que les femmes autistes, vivant plus souvent en institution que les neurotypiques, sont plus susceptibles qu’elles d’être victimes d’abus sexuels. Selon cette logique, nous exposer à un risque de viol parce que nous sommes difficiles à gérer est une chose, mais qu’on ait envie de coucher avec un tiers et agisse en fonction, voilà qui est inacceptable.

 

« Tu étais plus facile à vivre quand tu étais petite »

Les femmes autistes, de par un processus de masquage complexe, ont tendance à très tôt développer les traits suivants :

– Serviabilité, volonté de se rendre utile

– Attention aux besoins des adultes

– Évitement du conflit, voire volonté de médiation

 

Il ne s’agit pas d’hypocrisie ou d’une disparition des symptômes de l’autisme, mais plutôt d’une stratégie de survie déterminée, de manière inconsciente, pour trouver un équilibre entre les besoins personnels et les attentes placées sur la jeune fille.

En grandissant, il est possible que cette tendance au people-pleasing se maintienne, mais il est aussi très courant que la personne se rende compte qu’on ne peut pas passer sa vie à essayer de faire plaisir à tout le monde, et finisse par mettre en place des limites. Dans ce second cas, son entourage peut être surpris, voire furieux que la personne qui acceptait tout et n’importe quoi se « rebelle » soudain.

 

Conclusion

J’espère avoir réussi à promener mon lecteur dans ce paysage peu amusant, mais néanmoins instructif. Bien sûr, et j’ai conscience que ce n’est pas évident juste en lisant ceci, être une femme autiste n’est pas qu’une succession de discriminations et remarques insultantes l’une après l’autre jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il reste cependant vrai que nous rencontrons des difficultés qui sont uniques à notre situation, et qu'appartenir à d’autres minorités en plus, par exemple être racisé ou queer ou avec un handicap visible, ne fait qu’empirer le phénomène.

Parce que lutter contre les préjugés ne se fait que par l’expérience, j’encourage mes lectrices à partager en commentaires leurs réussites, grandes ou petites, de ces dernières semaines.

 

[1]« Je suis autiste ! » « Ah ouais ? Moi je suis autiste et une femme ! » « OK tu gagnes. »

[2]Ce qui a un fondement réel dans notre rapport aux textures, à la pression et à la nouveauté.

[3]Ceci n’a, en revanche, à ma connaissance aucun fondement.

[4]Que l’on soit attaché ou non à l’idée d’une identité culturelle autistique, pouvoir être reconnues ou envisagées comme autistes est important pour les femmes qui le sont : c’est, après tout, la première étape vers une prise en charge, et cela peut être une information utile pour expliquer des comportements qui, sans cela, pourraient être mis sur le compte de l’impolitesse. 

[5]Définition plutôt pathologisante mais, hé, c’est le DSM.

[6]Je renvoie mon lecteur à mon article sur la double empathie, qui expliquait que loin du modèle « neurotypiques = doués pour se faire des copains, autistes = pas doués », on observe plutôt que les humains au sens large ont du mal à entrer en connexion avec des gens qui ont un neurotype différent.

[7]Le ciel nous garde qu’on soit autiste et homosexuel.

[8]De nos jours, la grande majorité des situations visant à déterminer comment les enfants vont répartir leur temps entre leurs deux parents qui divorcent sont réglées entre les parents, et seulement ratifiées par un notaire ou avocat. La justice n’intervient que lorsque les parents ne parviennent pas à se mettre d’accord.


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