
Deuil de la famille parfaite
- Julie BOUCHONVILLE

Souvent, l'on peut lire le témoignage d'un parent de personne autiste, car il a été nécessaire de passer par une phase de deuil du proche attendu : le proche autiste est une surprise, et l'on peut s'y faire, mais le proche rêvé, qui aurait été neurotypique, lui doit être abandonné, et cet abandon peut être pénible.
Loin de moi l'idée de juger cette démarche, même s'il peut être un peut insultant que nos proches « présagent le deuil » d'une personne hypothétique quand nous sommes là et bien vivants, parce que je pense que l'inverse est tout aussi vrai, et j'aimerais m'y pencher aujourd'hui : le deuil de la famille autiste parfaite.
Rappel : la théorie de la double empathie
C'est peut-être l'article que je cite le plus souvent dans d'autres articles : celui où je parle de la théorie de la double empathie [1] . Pour rappeler de quoi il s'agit, cette théorie consiste à considérer que les autistes ne sont pas tant mauvais en communication en général que mauvais en communication avec des gens qui ont un autre neurotype , exactement comme les non-autistes, et qu'il s'agit là plutôt d'un trait humain.
Si les autistes ont du mal à se faire comprendre de, et se connecter à, des personnes neurotypiques, cela suggère qu'au sein même de leur famille, ils vivent des rapports sociaux insatisfaisants.
Les attentes ne sont pas les mêmes : la déception non plus ?
Bien sûr, les attentes ne sont pas les mêmes. Des parents neurotypiques, ou pensant l'être, se font une idée de ce à quoi leur enfant et leur vie ensemble pourront ressembler. Ils se projettent dans le futur et imaginent tout une tas de scénarios charmants impliquant leur enfant à venir — des scénarios qui doivent réellement changer quand l'enfant en question s'avère avoir un TSA. L'inverse n'est pas vrai pour la personne autiste, qui n'a pas pendant des années existé à l'extérieur d'une famille tout en nourrissant des attentes quant à la nature de cette dernière.
Je pense néanmoins que comparer des déceptions n'a pas vraiment de sens. Une personne autiste, même si elle n'a pas le même rapport aux attentes et aux projections mentales, est néanmoins parfaitement capable de se sentir déçue et peu à sa place, et c'est ici ce qui nous intéresse.
La famille autiste parfaite
C'est une image d'Épinal que chaque personne issue d'une minorité connaît et arbore dans un coin secret de son esprit. Une famille qui serait un refuge et une communauté, dont les membres nous comprendraient profondément non seulement parce qu'ils nous connaissent par cœur, mais aussi parce qu'ils occupent dans le monde une position similaire à la nôtre. Ils nous acceptaient, nous laisserions l'espace nécessaire pour grandir et changer tout en célébrant nos réalisations, et nous aimerions de la manière exacte dont nous voulons être aimés. Ils seraient sincèrement curieux de ce qui nous arrive et de ce que nous pensons.
Bien sûr parfois nous nous disputerions, mais nous serions toujours capables de discuter de nos désaccords et de conclure que nous choisissons de nous aimer malgré tout.
À la place de cela, une expression qui revient souvent dans les témoignages est l'idée que de nombreux autistes se sont sentis, et parfois se sentent encore une fois adultes, comme le chien de la famille. Aimé, certes, soigné, bien sûr, mais n'ayant pas le même statut que les humains. Pas inclus de la même manière, pas capable de se faire comprendre, non plus, et souvent une source de tracasseries lorsque les humains veulent faire une activité à laquelle le chien ne peut pas participer.
Deuil de la famille TSA
Cette image exquise de la communauté qu'il ne devrait pas construire patiemment, mais dans laquelle on naîtrait, cette image doit être abandonnée pour aller de l'avant ; c'est le principe même du deuil. S'il n'est pas fait, le fantôme risque de nous hanter.
Que ce soit parce que nous avons vu des exemples dans la fiction, parce que nous l'avons imaginé ou parce que notre famille choisie atteint des standards plus élevés, il est terriblement tentant de se lamenter en se demandant pourquoi, pourquoi les proches avec qui nous avons grandi ne sont pas satisfaisants, pourquoi ils ne nous comprennent pas mieux, pourquoi malgré toute notre bonne volonté nous ne parvenons pas à nous connecter à eux comme nous les voudrions.
Cher lecteur, que ceci soit ton signe qu'il est temps d'arrêter avec les questions et les tentatives : il n'y a pas de formule magique, de phrase que l'on peut prononcer ou d'action que l'on peut prendre qui permettra de traverser le mur et d'enfin voir et être vu pleinement pour ce que nous sommes. Pas plus que nos proches n'ont pu changer notre neurotype malgré des années de thérapie, nous ne pouvons changer le leur même en leur résultant vraiment bien .
Tout accepter d'une famille non autiste ?
Je prends immédiatement mon propre contre-pied : je ne suis pas en train de dire que tout est acceptable et qu'il ne sert à rien d'émettre des préférences ou de poser des limites. À moins que mon lecteur ne décide de couper les ponts, point sur lequel je n'ai aucune opinion à avoir, la communication reste importante et au sein de cette communication, les préférences et les limites personnelles font partie des choses qui doivent être transmises.
Je suggère simplement d'essayer de faire preuve de réalisme vis-à-vis de ce qui est attendu [2] . Si un frère ne s'est jamais intéressé à un intérêt spécifique, espérer que cela change semble illusoire, et ce peu importe à quel point il serait gratifiant et réjouissant qu'il demande des choses comme « est-ce que tu pourrais m'expliquer comment se forme une tornade au juste et pourquoi tous les orages n'en deviennent pas ? ». Si une mère continue de manifester son affection avec des cadeaux matériels même quand on lui a fait remarquer plusieurs fois que l'on préférerait passer du temps avec elle, c'est qu'elle n'est pas dans une situation où elle peut, ou désir, changer ce mode d'expression.
Faire le point et se demander si l'on a effectivement communiqué son besoin, et à partir de là déduire si oui ou non il peut être entendu par ses proches, me semble une bonne approche.
De l'aide dans le deuil
Dans le doute, un thérapeute qui aurait une orientation en thérapie systémique familiale serait un bon guide : d'abord pour déterminer quel domaine mérite encore des tentatives de changement et quel autre peut être considéré comme classé, mais aussi pour traverser le processus de lâcher-prise et d'acceptation. Faire un deuil, admettre qu'une chose désirable n'est plus et ne sera plus jamais, n'est pas marrant. Ouais.
Et admettre que notre famille ne sera pas nécessairement là pour nous de toutes les manières dont nous l'aurions voulu [3] … Eh bien. C'est tout un cheminement.
Conclusion
Être une minorité au sein même de son cercle proche est une situation très spécifique et, si elle a ses avantages, elle a aussi ses inconvénients, et parmi ces derniers se trouve le mur qui s'érige au sein même de la famille, séparant ses membres en deux camps. Toutes les expériences des uns ne sont pas accessibles aux autres, et il peut en résulter un immense sentiment de solitude ou même d'aliénation. Pour la personne autiste en particulier, abandonner l'image rêvée d'une famille neurodivergente parfaite peut être un processus aussi douloureux que long, a fortiori quand on ne comprend même pas pleinement que cet objectif de communauté totale est illusoire.
Mais comme pour tous les deuils, ce n'est qu'en acceptant qu'on peut aller de l'avant et découvrir des états mentaux plus sereins.
J'espère que cet article n'aura pas trop résonné avec mon lecteur, pour le bien de sa tranquillité d'esprit, et si c'est néanmoins le cas, j'espère avoir pu lui suggérer une marche à suivre satisfaisante.
[1] https://bienetreautiste.com/blogs/infos/l-autisme-c-est-les-autres?_pos=2&_sid=c7758da55&_ss=r#_ftnref2
[2] On en revient toujours aux attentes.
[3] Ce qui ne l'empêchera pas d'être là d'autres manières, là n'est pas la question.
Pour toute question sur nos articles de blog, contactez la rédactrice à : juliebouchonville@gmail.com
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Bien
Bien
Merci Julie pour cet article très intéressant, une fois de plus. Ce blog est vraiment l’endroit où je lis le plus de choses qui résonnent avec notre situation et mon point de vue personnel.
Je trouve que le mot « deuil » même si on lui ajoute « symbolique » est très violent et totalement inadapté quand on connaît le « vrai » deuil.
l’idée du renoncement à une famille fantasmée me semble plus juste mais elle est valable pour tous les parents, et tous les enfants ;) alors pourquoi le coller toujours à l’autisme ?
J’avais une analyse coté parents qui peut-être t’intéressera : https://poppysilverspoons.blog/2024/02/04/idees-parentalite/
Merci encore et continue surtout !!!
Anne